Sommaire
A. Quand le capitalisme perd la tête – B. Histoire du mouvement coopératif et du mutualisme – C. Des défis nombreux – D. Quelques exemples coopératifs – E. Bienvenue dans l’écosystème du capitalisme coopératif – F. Réflexion plus générale –
A. Quand le capitalisme perd la tête
Beaucoup de choses ont été écrites sur le sujet. Je retiens notamment l’ouvrage de Joseph Stiglitz, Le triomphe de la cupidité, Les Liens qui Libèrent, 2010.
Comment en est on arrivé là ? Quelles sont les véritables causes de cette crise ? Comment un système économique a pu ainsi s’imposer au monde ? Comment les élites politiques n’ont pas su entendre les signes avant coureurs (crise asiatique, crise argentine, effondrement d’Enron…) ? Comment le monde de la finance a-t-il pu prendre le pas sur le monde politique ? Comment avons-nous pu accepter une telle montée des inégalités sans prendre conscience des conséquences ? Comment, alors même que l’histoire nous susurrait de prendre garde, avons-nous dérégulé et libéralisé à outrance les capitaux ? Comment expliquer la faillite des institutions et des Etats ? Comment n’a-t-on pas pu ou voulu contrôler les dérives des produits financiers ? Voilà les questions salutaires que pose Stiglitz sur notre système économique et financier.
Stiglitz ne fait pas que poser des questions, il apporte aussi des réponses et isole deux causes principales du triomphe de la cupidité : le fondamentalisme des marchés (la croyance que mon intérêt égoïste et ton intérêt égoïste nous enrichissent tous les deux, comme si la somme des intérêts contradictoires de chacun faisait l’intérêt général) et l’irresponsabilité : « sur les marchés financiers d’aujourd’hui, pratiquement tout le monde clame son innocence. Tous n’ont fait que leur travail. Et c’est exact. Mais leur travail consistait souvent à exploiter les autres ou à vivre des gains de cette exploitation. Il y avait de l’individualisme, mais aucune responsabilité individuelle », écrit Stiglitz. Alors, tous les obstacles à l’enrichissement personnel sans borne ont été levés. Pour Stiglitz, c’est donc bien le système qui est vicieux et qui plus est fondé sur le mensonge et la tromperie, comme pour ces actifs pourris que les financiers se revendent. Nous sommes aujourd’hui devant la faillite d’un système, mais aussi d’un dispositif idéologique qui a fait de la cupidité, de la rapacité l’étalon de la valeur. Et, malgré la crise, le court terme et l’appât du gain immédiat dominent toujours.
Stiglitz plaide au final pour faire admettre que l’économie a une utilité sociale. L’économie doit participer au bien-être de tous. Il faut changer notre vision du marché financier et décider qu’il doit être mis au service de l’homme et de l’emploi. C’est un problème économique, mais aussi de volonté politique. Exemple : lorsque nous taxons les profits des spéculateurs bien plus légèrement que les revenus des travailleurs qui gagnent durement leur vie, non seulement nous incitons davantage de jeunes à s’orienter vers la spéculation, mais nous disons, concrètement, qu’en tant que société, nous estimons davantage la spéculation.
Et Stiglitz de prendre les paris : un autre modèle économique, le long terme, la confiance, la responsabilité et la présence de l’Etat (stratège et régulateur) dans l’économie sont les gages de production de plus de valeur, mais surtout d’une valeur socialement et écologiquement plus utile et mieux distribuée.
Rappelons pour conclure une phrase de Marx « Moins vous êtes, plus vous avez… Ainsi, toutes les passions et toutes les activités sont englouties dans la cupidité ».
B. Histoire du mouvement coopératif et du mutualisme
Les historiens ont beaucoup travaillé sur ces expériences des XIXè et XXè siècles. On se reportera notamment à Michel Dreyfus, Liberté, Egalité, Mutualité : mutualisme et syndicalisme (1852-1967), Paris, Les éditions ouvrières, 2001. André Gueslin, L’Invention de l’économie sociale : idées, pratiques et imaginaires coopératifs et mutualistes dans la France du XIXe siècle, Paris, Economica, 1998 (2ème édition). Michèle Riot-Sarcey, Le réel de l’utopie. Essai sur le politique au XIXè siècle, Albin Michel, 1998. Cette historienne revient sur ceux qui furent qualifiés d’utopistes car ils voulaient changer l’organisation économique. Pourtant, ces utopies, ils les ont réalisées ! Je suis allé jusqu’à Guise, dans le département de l’Aisne, entre Saint Quentin et Maubeuge, visiter « Le Palais Social » : le familistère créé par Jean Baptiste André Godin en 1859, qui abritait une cité de 2000 habitants. Il était construit juste à côté de sa manufacture de poêles en fonte. Godin, ancien ouvrier serrurier devint capitaine d’industrie. La coopérative prospéra jusqu’en 1968. L’idée était ingénieuse et généreuse : il s’agissait d’assurer aux membres du familistère le même confort que celui que la bourgeoisie s’octroyait. Seulement, faute d’argent, c’est par la coopération que les membres du familistère s’assuraient ce confort. Le travail, la production et la vente devenaient alors un moyen, non pas de s’enrichir, mais plutôt de financer les œuvres sociales : école, théâtre, bibliothèques, caisses de secours mutuel. L’économie était ainsi mise au service de tous. On ne peut donc pas dire qu’ils étaient des doux rêveurs. Et la forme coopérative n’a pas disparu avec les hommes du XIXè siècle. En 1973, les LIP de Besançon ont repris leur usine en autogestion, rassemblés sous un slogan : « C’est possible : on fabrique, on vend, on se paie ». Plus récemment, les Philips de Dreux ont tenté une brève autogestion qui a pris fin au début de l’année 2010, s’emparant du contrôle de la production suite à la décision du groupe de fermer l’usine, malgré un bénéfice net record au 3ème trimestre 2009, 176 millions d’euros. Et que dire des banques coopératives comme le Crédit Agricole ou le Crédit Mutuel, n’est-ce pas le signe que le modèle coopératif et mutualiste est viable ? On pourrait aussi citer les grandes mutuelles, dont la Macif et bien d’autres.
C. Des défis nombreux
Mais le capitalisme coopératif et mutualiste n’est pas le modèle magique qui dissipera toutes nos difficultés.
- Georges Lewi, Pascal Ferri : Les défis du capitalisme coopératif. Ce que les paysans nous apprennent de l’économie, Paris, Paerson, 2009, en rappellent les enjeux, les réussites et les écueils possibles.
- Sylvie Mayer et Jean-Pierre Caldier, Le guide de l’économie équitable, Fondation Gabriel Péri.
- Hugues Sibille, Tarik Ghezali, Démocratiser l’économie, Grasset, 2010
D. Quelques exemples coopératifs
- Interdependances.org « Le groupe Chèque déjeuner : quarante ans de politique sociale au service du salarié ».
- « L’économie sociale, une alternative à la financiarisation de l’économie ? », Colloque de l’IDES (Institut de Développement de l’économie sociale), mars 2009
- Compte-rendu du débat du GNC (Groupe National Coopératif) : « Capitalisme coopératif versus capitalisme financier ? ». Compte rendu dans le revue internationale de l’économie sociale et solidaire RECMA, http://www.recma.org/node/874
E. Bienvenue dans l’écosystème du capitalisme coopératif
- Alpesolidaires.org : un site riche et plein d’idées et de savoir-faire coopératifs. Voir notamment les onglets « création d’activité » et « coopératives ».
- http://www.nord-social.info/ Site militant et avant-gardiste, qui démontre à quel point l’économie sociale et solidaire, ce que j’appelle le « capitalisme coopératif et mutualiste », est l’économie taillée pour notre siècle. Contrairement à son nom, ce site ne se cantonne pas au nord de notre pays.
- http://www.scop.coop/p193_FR.htm un site plein de solutions et de modes d’emploi dont la lecture démontre qu’un autre modèle économique est possible. Il existe déjà et grandit chaque jour. Il faut désormais lui donner l’impulsion politique qu’il mérite.
- http://www.alternatives-economiques.fr/comment-entreprendre-autrement_fr_pub_350.html Entreprendre autrement est un dossier consacré aux modèles économiques alternatifs par l’excellent Alternatives économiques.
- http://www.mycoop.coop/ un site participatif pour vivre, penser, entreprendre et agir coopératif.
- http://www.recma.org/ site de la revue internationale de l’économie sociale qui réfléchit et diffuse les idées, valeurs et innovations du monde coopératif.
- http://www.alternatives-economiques.fr/blogs/sibille Voir aussi le blog de Hugues Sibille, auteur de Démocratiser l’économie, 2010.
Beaucoup de ces références, et d’autres, se retrouvent sur le site RECMA.
F. Réflexion plus générale
Dans un livre très intéressant et sans doute visionnaire, Le capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, Yann Moulier-Boutang développe un certain nombre d’analyses et de réflexions. L’une d’entre elles (concernant ce qu’il appelle la société-pollen) a inspiré mon approche du capitalisme coopératif.
L’abeille est une image qui résume ce que nous vivons aujourd’hui : c’est la circulation et l’échange qui font la valeur. Les interactions sont devenues le cœur des activités. L’exemple des entreprises de l’internet est caractéristique. Les Google ou Facebook emploient peu de gens. La richesse est créée par les millions de personnes qui, à chaque instant, cliquent sur les services en ligne et produisent ainsi du réseau. C’est cela le travail de pollinisation que décrit Moulier Boutang. La richesse est moins dans la production et la consommation, que dans la circulation et le réseau. On pourrait reprendre l’exemple du logiciel libre auquel collaborent une multitude de programmeurs, d’utilisateurs qui améliorent sans cesse, comme des petites abeilles travaillant à la même cause. Il ne s’agit plus seulement de produire du miel et de le vendre sur le marché. Ce n’est qu’une petite partie de la richesse. L’essentiel de l’activité est en amont et provient des activités immatérielles, de la diffusion des idées, des innovations, des alternatives et du lien social.
Le capitalisme coopératif s’inspire de cette société des abeilles, de cette grande ruche qui travaille et collabore, qui met l’utilité sociale au centre du jeu, qui assure toutes les activités interstitielles qui font que la société ne se délite pas et que la richesse commune progresse. Là est bien l’enjeu. Le produit fini n’est plus la fin en soi. Prenons un exemple : les entreprises dans lesquelles des managers plus malins que les autres ont supprimé les pauses café pour rentabiliser le temps de travail, ont vu généralement s’effondrer leur productivité. Le bien-être au travail, l’échange, le lien social sont générateurs de progrès économiques. Le modèle coopératif est justment la prise en compte de ce syncrétisme entre progrès économique et progrès social.
Le capitalisme change, évolue, mais ne s’effondre pas. Il fut familial, il est devenu financier. On ne peut pas se contenter de le dénoncer. Etre responsable, être de gauche, être moderne, c’est se donner les moyens de le transformer.